France Télévisions,
un pilier de la démocratie



Au mois de juillet 2005, le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) aura mis fin à la procédure de sélection des candidats à la présidence de France Télévisions. Ce groupe réunit la majorité des chaînes disponibles sans abonnement (France 2, France 3, France 5, RFO,.). De par le nombre de personnes sur lequel la programmation de France Télévisions peut influer, et l'impact sociétal du média télévisé en général, il me semblait important d'attirer l'attention sur cette nomination. Pour garantir la mission de service publique de France Télévisions, il est nécessaire de faire évoluer sa stratégie notamment au niveau de sa programmation pour que cette dernière soit représentative vis-à-vis des téléspectateurs et qu'elle sache répondre à leurs attentes, sans aller jusqu'à flatter leurs perversions.


Lettre du CSA... Ma candidature à la présidence de France Télévisions n'est pas retenue !
Afin de vérifier par moi-même la procédure de sélection des candidats, je me suis lancé dans la course à la présidence de France Télévisions. D'autres personnes n'appartenant pas au monde médiatique ne s'étant pas gêné d'en faire autant avant moi, je ne voyais pas de raisons de ne pas tenter l'expérience. Malgré qu'il ne m'ait été demandé aucun renseignement sur mes activités professionnelles, mon niveau d'étude, mes passions, mes objectifs pour France Télévisions ou mon niveau de connaissance en la matière, ma candidature n'a pas passé le cap de la présélection. Je me demande alors quel intérêt il y a à faire appel à des postulants à l'échelle de l'ensemble de la population majeure française si c'est pour ne retenir au final qu'une sélection de noms qui fleurissait déjà dans les quotidiens quelques jours auparavant. Tout cela relève d'une mise en scène aux effets spécieux.
Cette expérience m'a permis de mieux saisir la nature des difficultés rencontrées par France Télévisions. Le diapason de celui qui déterminera les orientations du groupe se devra d'être en harmonie avec des cercles de pouvoirs qui, eux, sont en décalage avec les personnes auxquelles ils sont censés s'adresser.


Pour moi, l'une des plus belles émissions de ces dernières années a été le débat entre Jacques Chirac et les jeunes sur le référendum. Elle a mis en lumière le gouffre d'incompréhension qui existait entre le président et le public. La télé est responsable de ça. Elle ne prend pas de risques, elle ne véhicule que la pensée unique.
Nagui,
Aujourd'hui en France
, samedi 11 juin 2005.


On constate une perte d'audimat du groupe qui atteint son plus bas résultat depuis quatre ans1. Pour un service public l'audimat ne doit pas être un objectif, mais une conséquence de la programmation. Sans pousser le bouchon jusqu'à diffuser des programmes qui permettent de « vendre du temps de cerveau humain disponible à Coca-Cola »2, la stratégie de France Télévisions a nécessairement été contrainte par la mise en ouvre du projet Synergia depuis 2002, à savoir « un plan d'économies et de synergies3 ». Les priorités commerciales de France Télévisions se traduisent inévitablement à travers sa programmation, qui se trouve être jaugée sur le seul critère quotidien objectif : l'audimat. Ce processus de marchandisation s'insinue dans l'état d'esprit du groupe, dans celui de sa stratégie, et finalement dans le dernier maillon de la chaîne, celui qui consomme les programmes.  

Accorder les intérêts du secteur privé avec les missions de service public est une gageure. Il suffit de se référer aux propos d'Arnaud Lagardère pour comprendre que cet aspect des choses ne fait pas l'objet de ses priorités : « Dans l'audiovisuel, si la télévision représente un relais de croissance évident, nous saurons très bien faire preuve du pragmatisme adéquat pour réussir à nous y développer sans payer n'importe quel prix.4 » Ce seul souci de retour sur investissement me laisse perplexe par rapport au contenu du projet de France Télévisions sensé s'adresser aux enfants, la chaîne Gulliver, dans laquelle Lagardère est actionnaire à 66 %.

L'activité d'une entreprise qui organise le contenu télévisuel consiste à agir sur de la matière à voir et à entendre, apparemment évanescente, mais qui concrètement laisse une trace dans notre esprit, voir même dans notre corps5. Le rôle de surveillant anonyme qu'on lui fait jouer dans les prisons en dit long sur son efficacité en tant que camisole cathodique. Là réside toute la différence avec une entreprise qui vend des biens ou des services. Cette dernière n'a généralement que peu d'influence sur le moral et le comportement des gens. Si la fermeture de SEB entraîne une déprime passagère dans le pays, la nature et la fréquence des images diffusées par les médias télévisuels peuvent aller jusqu'à engendrer des dépressions chez ceux pour qui il s'agit du seul lien qu'ils peuvent avoir avec le monde. La responsabilité d'une chaîne, et à plus forte raison de France Télévisions dans le cadre de sa mission de service publique, est de veiller à ce que sa programmation ne contribue pas à accroître la crise que traverse notre pays. Dans cette optique, il n'y aurait aucun intérêt à rejeter la télé-réalité pour finalement diffuser des programmes qui, sous le prétexte d'explorer la vie réelle, se révèleraient être encore plus négatif dans l'exploitation du voyeurisme, du sadisme, et du jugement6. Certains préféreraient « amener (les) cameras dans la vie réelle, et essayer de comprendre7 », comme si les candidats aux émissions de télé-réalité venaient d'une autre planète. D'autres se verraient bien interdire de telles émissions, sans que cette position radicale qui nous rappelle certaines dictatures qui incendiaient les supports des idées qu'elles trouvaient déviantes ne les gêne le moins du monde.

Loft Story par Jean-Luc Mélenchon

 

Il y en a qui ne comprennent rien, et le fond du problème, c'est que ça les choque de nous découvrir.
Aziz, de Loft Story n°1 sur M6,
Le Journal du Dimanche
, 13 mai 2001.

 

Quoi qu'il en soit, le CSA veille. un peu trop d'ailleurs. Si bien que pour le Loft, il avait mis en place un protocole obligeant les producteurs à sélectionner rigoureusement les passages diffusés à une heure de grande écoute. Le CSA a également exigé que le présentateur n'incite plus à faire voter le public pour désigner celui qui « part », mais pour choisir celui qui « reste ». Le vocabulaire transforme un processus d'exclusion en mécanisme d'intégration. Le jeu reste le même mais il est devenu politiquement correct.

Ce n'est pas le cas de tous les médias soumis au jugement de la haute autorité. L'émission radiophonique de Skyrock animée par Difool, Marie, Romano et les auditeurs, qui avaient été mise en demeure pour propos injurieux tenus contre les candidats du Loft, est sous le coup d'une autre procédure à l'heure ou j'écris ces lignes8. A cette occasion le CSA met en pratique la même méthode qu'il conseil à M6 pour Loft Story, à savoir sélectionner des bouts d'émission pour arriver à ses fins. Le CSA scénarise Skyrock pour la censurer, comme M6 scénarise « Loft Story » pour la valoriser. Le fait de compiler des propos en les sortant du contexte de l'émission correspond à « un acte qui ne peut pas être considéré (.) comme très recommandable du point de vue de l'honnêteté intellectuelle9 ». 

Skyrock, 1er sur le Rap et le reste... :-)
Cette censure par omission qui oblige les uns et les autres à la retenue revient à offrir aux téléspectateurs et aux auditeurs un programme insipide et politiquement correct. La spontanéité de la critique populaire est en déphasage avec l'exigence de sagesse imposée par l'organe de surveillance. Seulement cette exigence réclamée pour les émissions et leurs animateurs ne l'est pas pour les hommes politiques. Cela permet à un certain Nicolas Sarkozy de formuler des déclarations10 qui entrent en résonance avec notre perception de la réalité sur la forme, mais qui s'en éloignent quant aux solutions préconisées sur le fond. Il appartient à chacun d'entre nous de ne pas se laisser embrigader par des discours électoralistes d'une élite en quête de pouvoir qui joue sur la corde sensible. Il est de notre responsabilité que le divertissement à l'écoute des critiques salaces d'animateurs, plus en adéquation avec le peuple de par leur niveau social, soit toujours possible grâce à notre soutien. L'analyse naît d'une alchimie entre la critique et le raisonnement, et ne doit pas correspondre à des prises de position issues d'une manipulation des émotions. Si l'on muselle la critique et qu'on laisse libre cours à l'affect, on interdit du même coup tout le processus qui conduit à mener une réflexion. Mais peut-être est-ce le but recherché.

 

J'ai bien rigolé et j'aurais aimé tenter cette expérience. sauf pendant les vacances ! L'idée est sympa mais le montage exagère les choses. J'ai appris des trucs mais cela aurait été plus complet sur Arte.
Ralph,
17 ans, à propos du docu-réalité « Le Pensionnat de Chavagnes »,
Aujourd'hui en France
, jeudi 9 septembre 2004.

 

Loft Story était une des premières émissions symptomatiques du fossé qui se creusait entre les élites et le peuple. Cette émission de télé-réalité révoltait les intellectuels du pays alors qu'elle captivait plus de la moitié des téléspectateurs11. Ce décalage entre l'expression civique et, notamment, la représentation médiatique au niveau de la télévision à l'occasion du dernier référendum, s'est accrue dés que les médias ne se sont plus contentés de chercher à faire de l'audimat, mais se sont fourvoyés à distiller une opinion. L'inquiétude par rapport à ce manque de concordance entre l'émetteur et le récepteur se situe dans une désaffection des téléspectateurs vis-à-vis d'un objet non identifiant. La télévision a souvent été accusée à tort d'être un outil de décohésion familial de par le silence qu'impose son écoute. Au contraire, deux des occasions de renouer le dialogue dans la cellule familiale ont été Loft Story et le référendum sur le projet de constitution européenne. Mais pour ce dernier, on pourrait faire le procès à la télévision, à juste titre cette fois-ci, de n'être qu'un porte-voix supplémentaire de la pensée unique. Seulement une fois le masque du programme tombé, les positions des donneurs d'ordres se trouvent être exposés en pleine lumière. C'est ainsi que certains ont découvert au fond des urnes que le téléspectateur sait encore faire la différence entre la fonction distrayante d'un programme et la caricature d'une réalité qu'il subit quotidiennement.

La petite lucarne n'est plus le miroir de la société puisqu'elle reflète, comme l'ensemble des médias, l'image éditoriale d'une majorité élitiste. Elle a été gagnée par le symptôme de la nomenklatura qui veut que ceux qui font la télévision ne ressemblent pas à la majorité de ceux qui l'écoutent. Les candidats à la présidence qui sont sortis du lot initial des 17 prétendants ne sont pas sur le point de rétablir la balance à ce niveau là, à l'image de l'actuel président, ancien haut fonctionnaire inspecteur des finances, polytechnicien et énarque, qui travail apparemment depuis longtemps à sa réélection12.

Marc Tessier
     Marc Tessier    




Hormis qu'ils sont tous des professionnels de la profession, Patrick de Carolis est auteur d'un livre d'entretien avec Bernadette Chirac
Patrick de Carolis
     Patrick de Carolis    
, José Freches a été conseiller de Jacques Chirac
José Freches
     José Freches    
, Norbert Balit est Franc-maçon
Norbert Balit
     Norbert Balit    
, et Simone Harari est énarque et, entre autres, présidente de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA)13.
Simone Harari
     Simone Harari    











Les citoyens sont déçus d'assister à un spectacle ou la logomachie alterne avec la pensée unique. Ils perdent toute confiance, et plutôt que de s'en tenir au réseau hertzien, viennent grossir les rangs des abonnés au satellite, ou passent encore plus de temps sur internet. La multiplication des chaînes et la facilité croissante d'accès au web, qui a l'avantage de l'interactivité, ne sont pas sans conséquence sur la part d'audience des stations nationales. Le fait de ne rien trouver de ce que l'on cherche nous amène à chercher ailleurs, comme le prouve la chute récente du taux de consommation de télévision14.  
Le contenu des grilles télévisuelles est indigeste car trop imprégné, de par le fond ou la forme, de l'huile du libéralisme et de l'inéluctabilité de l'histoire. La majorité de ceux qui ont intérêt à ce que cette situation perdure en graisse les rouages des diffuseurs d'opinion nationale de telle sorte que la résignation populaire soit un état permanent qui facilite la mise en ouvre de leur politique. Cette huile c'est la même que celle dans laquelle la masse des plus fidèles téléspectateurs patine déjà depuis plus d'une vingtaine d'années. Maintenant ils la reconnaissent, n'en veulent plus, et attendent autre chose. La contradiction entre le résultat du référendum sur le projet de constitution européenne et l'opinion médiatique, ou encore l'explosion du taux de fréquentation de certains sites internet qui n'allait pas dans le sens du courant que la majorité des éditorialistes voulait nous faire prendre sont autant de leçons à tirer pour les gourous de la télévision.

Alors plutôt que de chercher l'audimat en prenant appui sur un raisonnement fondamentalement économique, France Télévisions se doit de recommencer à jouer son rôle de cohésion sociale qui fait partie intégrante de sa mission de service public. Plutôt que de s'obstiner à mettre en ouvre une programmation que les experts pensent pour nous, France Télévisions se doit de répondre d'urgence aux attentes du public. Plutôt que de laisser le champ libre aux caciques de l'inéluctabilité, France Télévisions doit faire preuve d'encore plus de pédagogie politique et institutionnelle. France Télévisions se doit également de permettre aux citoyens de se réapproprier le débat, et ce tout d'abord en ayant à sa tête un homme ou une femme qui ne soit pas le fruit de l'influence des a priori des lobbys médiatico-politiques. Cela me semble encore mal engagé cette année.
Toute stratégie qui ne prendrait pas en compte ces éléments serait notamment dangereuse pour l'avenir de la démocratie eu égard à l'influence de la télévision dans notre société.


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Sources :

1 France télévisions - Résultat 2004 - 7 avril 2005. Part d'audience des chaînes nationales hertziennes : F.T. 2000 = 44 ; F.T. 2001 = 43,8 ; F.T. 2002 = 43,8 ; F.T. 2003 = 44,3 ; F.T. 2004 = 43,6.

2 Patrick Le Lay, PDG de TF1.

3 Rapport financier 2003 de France Télévisions. http://www.francetelevision.fr/

4 http://www.lagardere.fr/

5 Joël Labruyère, « Télé-vision, la dévoreuse d'âme », Top Secret N°13.

6 Amélie Poulain - Loft Story, même combat

7 Christopher Baldelli, Directeur général de France 2, France Soir, jeudi 23 juin 2005.

8 http://difool.skyrock.com/

9 « Jack Lang prend la défense de Skyrock contre le CSA », Le Monde, 30 mai 2001.

10 « Moi, je le sais, que la justice est humaine (...), mais c'est pas parce que c'est humain qu'on ne doit pas payer quand on a fait une faute. » Le 22 juin, à propos des juges qui ont remis en liberté un des meurtriers présumés de Nelly Crémel, déjà condamné à perpétuité pour assassinat mais remis en liberté conditionnelle il y a deux ans.
« Dès demain, on va nettoyer au Karcher la Cité des 4 000. On y mettra les effectifs nécessaires et le temps qu'il faudra, mais ça sera nettoyé. » Nicolas Sarkozy, le 20 juin à La Courneuve, à la suite du meurtre du petit Sidi Ahmed. Libération, vendredi 24 juin 2005.

11 51,7 % des téléspectateurs âgés de quatre ans et plus ont regardés « Loft Story » la première semaine de diffusion du jeu d'après la société Initiative Média.

12 « Depuis un an, Tessier tire toutes les ficelles qui peuvent servir à sa réélection. Dominique Ambiel, ancien conseiller spécial de Jean-Pierre Raffarin et patron de A Prime, est généreusement pourvu en émissions, Daniela Lumbroso, proche de Renaud Donnedieu de Vabres et de Michèle Alliot-Marie, aussi. » Jérôme Béglé, Paris Match N°2927, du 22 au 29 juin 2005.

13 Ibidem.

14 L'étude commandée par l'EIAA (European Interactive Advertising Association), organisation qui représente les régies publicitaires interactives européennes, nous apprend en novembre 2004 que la télévision est toujours le média le plus consommé en France avec 32 %, mais enregistre une chute de 9 % par rapport à 2003. Par contre Internet représente désormais 22 % contre 10 % en 2003. http://www.eiaa.net/press-information/shwPress-information-releases.asp?id=46&lang=2



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