À la une du Parisien en cette rentrée 2025, les ovnis semblent enfin s'imposer au cœur du débat public. Promesse d'exclusivités militaires, allusion à des scénarios dignes de Tom Clancy, ou encore évocation de risques en plein défilé du 14 juillet : le chapeau annonçait de toute évidence un tournant dans la prise en compte du phénomène par la France.

Le samedi 13 septembre 2025, Le Parisien, faisait sa une avec les ovnis. Avec un titre tel que « Les ovnis dans les radars de l'armée », auquel succédait la question de savoir ce qui se passerait si « le défilé du 14 juillet était survolé par des engins inconnus », on pouvait s'attendre à des révélations. Et de renchérir avant même d'ouvrir le journal en nous annonçant que les militaires français « se préparent à tous les cas de figure ». Que nous réservait donc cette double page qui résonnait également de Cergy-Pontoise à Valensole par l'intermédiaire de l'édition nationale du quotidien, Aujourd'hui en France ? Une exclusivité qui ferait passer les agences américaines pour de timides spectatrices, et oublier le scoop du New York Times en 2017 ? Des informations qui nous laisseraient penser qu'il y'a au moins un sujet pour lequel la France peut être fière à l'international ? Une note d'espoir qui rattraperait celle du déclassement par l'agence Fitch tombée le même jour ? Ou cet article était-il la clef de compréhension pour saisir le sens de la nomination du ministre des armées à la tête du gouvernement de la France quelques jours plus tôt ? La divulgation qui devait venir d'outre-Atlantique par l'intermédiaire de Donald Trump allait-elle finalement provenir de ce « vieux pays, la France, d'un vieux continent », pour reprendre les mots de Villepin ?

Mais autant le discours du ministre français des Affaires étrangères de l'époque prononcé au Conseil de Sécurité à l'ONU, le 14 février 2003, n'aura eu aucun effet puisque le gouvernement américain déclara la guerre à l'Irak le 20 mars 2003, autant cette double page du quotidien fit « pschitt1 » pour reprendre cette fois le mot célèbre de celui qui fut le mentor de l'homme politique précédemment cité. Déjà, l'édito de Tanguy de l'Espinay était si riche d'approximations, d'inexactitudes, et de mépris, que l'on en arrivait à se demander si l'auteur avait au moins fait l'effort de lire l'article principal avant de déverser son fiel. Car bien que décevant par rapport à l'accroche trompeuse digne d'un racolage de presse people, l'ensemble comportait au moins quelques bribes d'informations sérieuses, tout du moins pour ceux qui ne connaissent rien au sujet.

Je veux bien admettre que le fait d'afficher le sujet ovni en France à la une d'un quotidien, et sur deux pleines pages à l'intérieur, est déjà un progrès en soit. Je veux bien convenir du fait que la Read Team Défense2, « outil(s) à la disposition » de la Direction générale de l'armement (DGA), ou encore que l'association Vision Radar3 étaient passées sous mes radars, pour le coup. Mais lorsque je lis que l'outil en question, un programme classifié de l'Agence de l'innovation de défense dont j'aimerai bien connaître le périmètre d'intervention et d'influence, « invite des auteurs de science-fiction à élaborer des scénarios réalistes (…) afin d'aider l'armée à ôter ses œillères », et qu'en même temps des témoins n'ont même pas été approchés, je me dis qu'en définitive je n'avais pas raté grand-chose, si ce n'est l'existence d'un marché public attribué à l'université Paris Sciences et Lettres pour environ 2 millions d'euros. Mais au-delà de ce vénal détail, il y a de quoi s'interroger quant à savoir à qui s'adresse réellement cet article.

En effet, s'il est toujours préférable de parler des ovnis plutôt que de les occulter, fabuler sur le phénomène sans s'appuyer sur ceux qui l'ont approché au plus près me parait aussi spécieux que chercher des solutions sans même connaître l'énoncé du problème. De plus, que ne dirait-on pas des sénateurs américains si le Congrès avait auditionné Steven Spielberg et Ridley Scott au lieu de Ryan Graves et David Grusch ? Dans ces conditions, on ne peut que craindre le pire quant au niveau de préparation de nos forces armées alors que pendant qu'elles élaborent des scénarios de simulation, de l'autre côté de l'Atlantique, le mardi de cette même semaine où Le Parisien sortait son article, le Congrès dévoilait une séquence où un missile touche un ovni sans réussir à l'abattre4. Pas un mot dans cette double page du journal français qui, pire encore, réserve une place pour inclure une capture d'écran de la précédente révélation. Comme si l'anachronisme ne suffisait pas au ridicule, l'image est présentée avec un énoncé trompeur car la vidéo éculée n'a pas été « diffusée avec l'autorisation du département américain de la défense », mais déclassifiée trois ans après sa diffusion dans le New York Times le 16 décembre 2017. Ce qui à l'époque était considéré à juste titre comme du vrai travail de journalisme… Alors vous comprendrez que je n'aborde même pas le sujet des enlèvements extraterrestres dans cette succincte analyse, parce que l'on voit bien que l'on est déjà loin d'aborder le sujet de front en adoubant un positionnement qui écarte les contactés, et en divertissant le lecteur avec des clichés qui ont 8 ans d'existence au lieu de nous tenir au courant d'une nouvelle séquence qui a été dévoilée 4 jours plus tôt.

De plus, comme si cette déconnexion avec la réalité ne suffisait pas, certains personnages cités dans l'article méritent une attention particulière. Une brève quête d'informations sur internet ne contribue pas à valoriser leur profil. Pour ceux qui ont déjà croisé des affaires où les officiels étaient impliqués dans des histoires d'ovnis sans que l'on n'ait jamais véritablement su s'ils en étaient les instigateurs, des acteurs contraints, ou de simples observateurs, ils seront familiers du comportement d'intervenants dont la parole a été rapportée dans Le Parisien. Le portrait brossé voilà sept ans laisse pour le moins dubitatif5 : « Mythomane (…) très bavard (…) peu discret (…) expansif (…) », et néanmoins « chargé de mission auprès du chef d'état-major particulier du Président, un poste en principe réservé à des pointures des questions de défense », mais ayant navigué dans le domaine du renseignement… On a là toute la panoplie du fusible que l'on peut utiliser pour les basses œuvres de désinformation, mais dont le parcours et la réputation pourraient tout aussi bien servir s'il devenait urgent de décrédibiliser le trop prolixe commis du Président en fonction.

Je crains que cet article ait un résultat contre-productif chez ceux qui s'intéressent au sujet, ne soit d'aucun effet sur la majorité des gens, et tente maladroitement d'afficher un objectif pour ceux qui nous gouvernent ici et ailleurs. D'abord, il nous en apprend davantage sur les raisons pour lesquelles il n'y a aucun progrès dans le domaine ufologique en France, plutôt que sur ce à quoi il faut s'attendre. Il ne fallait pas espérer des miracles en préférant l'imagination de professionnels du divertissement à la réflexion structurée d'une approche multidisciplinaire, en finançant une vision du futur alors qu'on n'est pas en mesure de comprendre ce qui se manifeste dans le présent, et en laissant de côté l'organisme précurseur d'enquêtes sur les ovnis, le GEIPAN, qui n'est toujours pas missionné pour faire de la recherche sur le sujet6. Ensuite, il ressasse des éléments qui sont dans le débat public depuis plusieurs années, mais ne nous apprend rien sur le phénomène en lui-même et ses derniers développements. Enfin, la rédaction laisse penser à une opération destinée aux services étrangers, dont les dossiers déclassifiés nous ont prouvé leur intérêt pour ce qui figurait dans les colonnes de nos tabloïds7. C'est que face aux États-Unis, il ne faudrait pas paraître en arrière de la main sur ce sujet aussi, donc il est temps de montrer qu'on s'en occupe en lâchant des mots-clefs comme « rétro-ingénierie », ou en déclarant « se mettre en situation de (…) mener un travail de fond ». Mais ce semblant de mobilisation s'apparente davantage à une opération d'enfumage à des fins intérieures autant qu'extérieures. On en a la confirmation dans le passage concernant une éventuelle question d'un député à l'Assemblée nationale pour laquelle il serait nécessaire de répondre grâce à des « éléments de langage », et dans un autre où tout ce qui précède est présenté « sans préciser jusqu'où (a été) poussé le travail ». 

Si Le Parisien nous dévoile une vérité, c'est celle d'un plan de communication.

Je terminerai avec un peu de publicité pour mon dernier livre, tant une partie de son contenu me semble adapté pour renvoyer dans les cordes l'éditorialiste sceptique, et démontrer qu'il est possible de faire avancer la réflexion sans pour autant verser dans la science-fiction, mais simplement en portant un regard neuf sur les ovnis. La lecture de « L'hypothèse interdite » permet de prendre suffisamment de recul pour comprendre que l'ufologie sérieuse ne commence pas depuis les auditions menées au Congrès américain en juillet 2023. Dans le même mouvement, elle aide à réaliser que la France, accusée à tort de suivre le mouvement par un rédacteur en chef adjoint qui avait 13 ans lorsque le rapport Cometa a vu le jour, n'est pas, avec les États-Unis, la seule à s'intéresser au sujet, officiellement ou officieusement. Cependant, la lecture de mon livre relativise également la « transparence croissante des institutions » que l'auteur de l'édito semble valider comme un fait acquis, ce que je mettrai sur le compte d'une méconnaissance confondante du sujet qui n'a d'égal que son acrimonie moqueuse qu'il pense certainement ingénieuse. En effet, la messe est dite lorsque l'appellation « soucoupe volante », celle qui est préférée par les incrédules pour décrédibiliser le phénomène, est remplacée par celle de « grille-pains intergalactiques ». Enfin, l'affirmation comme quoi « l'ignorance des hommes a été le socle de bien des légendes » est scientifiquement réfutée depuis les années 70, et j'en apporte une argumentation probatoire détaillée dans mon livre. Cela ouvre le champ à une relecture de l'histoire que je ne manque pas d'explorer. Mais une telle perspective est certainement trop vertigineuse pour un « journaliste de l'espace », qualificatif moqueur (s'il était besoin de le préciser) décerné par le Canard Enchaîné, mais qu'a pourtant fièrement épinglé la victime sur son compte X8.

L'histoire nous démontre que les révolutions permettent le progrès des connaissances à partir du moment où des individus ont su faire fi des paradigmes en vigueur lorsque ceux-ci ne répondaient pas à toutes les questions, pour en inventer de nouveaux plus satisfaisants. À vous de voir si vous voulez continuer de tourner en rond dans le déjà lu, ou si vous êtes prêt à tenter une approche de l'ufologie par des chemins originaux.

D'un point de vue pratique, n'étant pas bilingue, j'ai adapté L'Hypothèse interdite en expurgeant dans la version anglaise les expressions trop françaises qui pourraient poser problème pour un public anglo-américain.

Article mis en ligne le 15 septembre 2025.