Le Cas Kissinger
Le cas Kissinger ne manque pas d'alimenter
les conversations des complotologues de tout poil tellement l'ex-secrétaire
d'état américain a influencé, et influence encore, la géopolitique
internationale. Prix Nobel de la paix en 1973, ce membre originel du CFR,
de la Commission Trilatérale et du Groupe Bilderberg est accusé d'être
un criminel de guerre par le journaliste britannique Christopher Hitchens,
d'être un reptilien par
David Icke ou
d'être un habitué des
Bohemian Grove party.
Certains l'ont même
fait apparaître dans la liste des nominés au titre d'antéchrist
1.
Pour mieux connaître un personnage, il est utile de
connaître son comportement vis-à-vis des évènements. Ces derniers
peuvent imposer des choix dans l'urgence que les historiens auront beau
jeu de critiquer avec le recul. Néanmoins la philosophie de Kissinger
tient dans la préservation et l'expansion du modèle américain contre
tout système pouvant représenter une menace. Le bloc soviétique
justifiait toutes les opérations d'ingérence que « K » résumait
par ces questions : «
Pourquoi laisserions-nous un
pays devenir communiste ? Parce que le peuple est irresponsable ? »
Deux petits tours et puis s'en va
Il est vrai
que, pour Mr Kissinger, « la
morale individuelle ne peut s'appliquer aux relations entre Etats, où, bien
souvent, il faut choisir entre deux maux le moindre ». Cette réflexion
est on ne peut plus d'actualité dans cette période où le monde s'est déchiré
autour d'une question : Faut-il aller faire la guerre en Irak ? On
nous a forcé à faire un choix entre l'intervention d'une démocratie libérale
dont nous dénoncions les égarements avant le 11 septembre et une dictature basée
sur la peur, la répression, les massacres, la torture.. Si il faut suivre les
préceptes de Mr Kissinger, le choix est vite fait, sauf que le démantèlement
de l'oppressant pouvoir irakien aurait déjà pu et dû s'opérer depuis
longtemps. C'est tout l'art de la géostratégie politique que de laisser
pourrir des situations qui nous amène inévitablement à des impasses.
L'aboutissement à cette situation est dû au fait que nous manquons nous-mêmes
de vision et de courage politique. Mais déjà on voit pointer l'aile des
faucons de la récupération politique qui viennent mettre le doigt sur cette
apparente incohérence, celle qui veut que l'on annonce la fermeture d'unités
de production de GIAT Industries alors que l'Europe ne peut soit disant
pas s'imposer
sur la scène mondiale de par ses carences militaires. Seulement l'Europe a déjà
du mal à avoir une vision politique de sa constitution et de sa géographie,
alors je vois mal comment une armée au commandement polycéphale ou alternatif
ne pourra pas avoir des comportements incohérents à la lumière du recul que
nous donnera l'histoire. On évite de laisser une arme à un schizophrène.
Le déclencheur initial de la guerre contre l'axe du mal
fut l'écroulement de deux tours, écroulement dont la date coïncide
avec la résurgence d'un passé qui n'a rien à voir avec un
quelconque terrorisme islamique. Je veux parler du renversement de
Salvador
Allende par Augusto Pinochet a
eu lieu au beau milieu du règne de Kissinger, le 11 septembre 1973. Les
24000 documents déclassés par le gouvernement américain à l'occasion
de la procédure à l'encontre de Pinochet ont montré l'influence de
la politique américaine sur l'avenir du Chili. Le 11 septembre 2001,
soit 28 ans jour pour jour après le coup d'Etat Chilien, le
Washington
Post révèle que le fils d'un chef d'état major chilien, le général
Schneider qui a été assassiné après avoir été enlevé, poursuit en
justice Kissinger.
Le fracas de la chute des tours coupe court de façon
providentielle à la portée médiatique qu'aurait pu avoir cette affaire.
Dans les heures qui suivent la catastrophe, le site internet du Washington Post
se faisait le support d'une tribune libre de l'ancien conseiller national de sécurité
qui commençait par «
Le gouvernement devrait se voir confier la mission
d'apporter une réponse systématique qui aboutira, on l'espère, au même résultat
que celle qui suivit l'attaque de Pearl Harbor - la destruction du système
responsable de cette attaque2 ».
Intéressant que quelqu'un d'aussi bien informé fasse référence à Pearl
Harbor, début d'une guerre dont l'heure et le lieu de l'attaque étaient
connus d'avance (
voir ici)! Et quand des doutes surviennent sur les vulnérabilités et
les échecs de diverses agences fédérales dans les événements du 11
septembre (notamment la CIA, la centrale de renseignement, la NSA, l'agence
chargée des écoutes, la police fédérale (FBI), les services d'immigration
(INS) et la sécurité du transport aérien), c'est Mr Kissinger que le président
Bush nomme à la tête d'une commission
d'enquête «
indépendante3 »,
dont il se retira en décembre 2002 prétextant des conflits d'intérêts avec
ses clients actuels. à moins que ce soit le documentaire de
Eugène
Jarecki , «
Le Cas Kissinger4 »,
réalisé la même année, qui a eu pour effet d'éloigner le personnage des
sphères où il aimait graviter.
Responsable mais pas coupable
Si la responsabilité directe de l'ancien secrétaire
d'Etat américain ne fait plus aucun doute dans les campagnes d'assassinats
et de subversion de la démocratie au Chili, il en est de même dans la
prolongation de la guerre au Vietnam et son extension au Cambodge
et au Laos, ainsi que de sa complicité dans le génocide du Timor-Oriental.
Les Etats-Unis ne reconnaissant pas le tribunal pénal international pour leurs
ressortissants, il sera difficile de faire reconnaître certaines réalités.
Néanmoins si, comme nous l'avons vu, les déclarations
du personnage sont toujours suivies d'effet sur la scène internationale, on
peut s'effrayer de ce qui suit.
Il déclara ce qui pourrait être une justification de la
politique impérialiste américaine dans le moyen orient : « Le
pétrole est une chose trop sérieuse pour qu'on la laisse aux Arabes. »
Plus récemment, dans une tribune du Washington Post
5,
il espérait au sujet de la guerre en Irak que «
le réalisme français
prévaudra et que Paris sera aux côtés des américains en cas d'intervention
militaire », «
si la France et l'Allemagne ne
souhaitent pas renoncer à leur vocation européenne », ce
qui pourrait être compris comme une menace quand on connaît le passé de
l'individu.
Mais il se laisse aussi aller à des aveux sur certaines
institutions quand celle-ci ont des effets contre-productifs : «
Tel
un médecin ne disposant que d'une seule pilule pour tous les maux
imaginables, il (le F.M.I) prêche presque invariablement l'austérité, de
forts taux d'intérêt pour empêcher la fuite des capitaux, en préconisant
de grosses dévaluations pour décourager les importations et renforcer les
exportations. Il en résulte mathématiquement une chute brutale du niveau de
vie, du chômage et de la pauvreté, qui affaiblit les institutions politiques
chargées d'exécuter le dit plan.6 »
Mais il se rattrape aussitôt en affirmant que «
le Capitalisme de
marché reste le meilleur moteur de croissance économique et de hausse générale
du niveau de vie. Cependant, comme l'arrogant capitalisme du laissez-faire a
permis l'éclosion du Marxisme au XIX ème siècle, le mondialisme aveugle des
années 90 pourrait bien susciter une remise en cause du concept même de liberté
des marchés financiers ». Les dirigeants en place sauront faire
bon usage de cet avertissement pour mieux faire semblant de considérer les
remontrances des antimondialistes, ou pour amplifier exagérément leur
noyautage par des extrémismes minoritaires. Il pourront être aidé en cela par
certain médias sans avoir besoin de leur demander, quand on sait que Mr
Kissinger appartient au comité consultatif de Holinger, un groupe qui détient
68 % des journaux au Canada et plus de 250 journaux et magazines à travers le
monde
7.
Le sens de l'action
Dans un document qu'il rédigea en avril 1974 alors
qu'il était Conseiller à la Sécurité Nationale américaine, le NSSM 200,
il conclu : «
Le dépeuplement est
l'axe prioritaire de la politique étrangère américaine dans les pays du
Tiers-monde. » Il n'est pas étonnant qu'à la suite de
tel propos certaines personnes se demandent si il n'y a pas un rapport entre
cet objectif et l'apparition soudaine de pathologies dont les effets dont
d'autant plus meurtriers que ces contrées sont peu pourvues en moyens
sanitaires. On peut aussi voir dans cette conclusion et à la lumière de tout
ce qui précède, que plus que la sauvegarde d'un système politico économique,
c'est la survie d'une caste et la diffusion de ses valeurs sur l'ensemble
du globe qui importe pour Mr Kissinger, quel que soit le prix à payer pour ceux
qui n'en font pas partie. Nous connaissons tous le sort «
accidentel »
de Diana, une personne «
politiquement et diplomatiquement incontrôlable »
de l'avis de Mr Kissinger.
Tous les sous entendus du personnage se sont révélés
plus lisibles après que le temps qui passe nous ai permis d'avoir assez de
recul sur les évènements pour pouvoir les saisir. C'est ainsi que l'on
pourrait l'encenser pour ses analyses prévisionnelles qui tombent toujours
juste et ses sous entendu qui semblent en dire encore plus long que ses déclarations.
Mais on serait aussi en droit de le soupçonner de manipulation globale étant
donné ses responsabilités au plus haut niveau d'un des états les plus
puissants, et ce encore récemment puisqu'il fut l'un des conseillers de G.
W. Bush lors de son élection présidentielle. Alors c'est imprégné
de ce sentiment ambivalent que je vous laisserai méditer sa déclaration du 21
mai 1992 à Evian :
« Aujourd'hui, les américains
seraient outrés si les troupes des Nations Unies entraient dans Los
Angeles pour rétablir l'ordre.
Demain, ils leur en seront reconnaissants ! Ceci est spécialement vrai si
on leur disait qu'il existe une menace extérieure, réelle ou fictive,
mettant en péril notre existence même.
Alors tous les peuples du monde supplieront leurs dirigeants de les délivrer
de ce mal.
Tout le monde craint l'inconnu. Quand les gens connaîtront ce scénario,
ils abandonneront leurs droits individuels en échange de la protection de
leur bien-être par les gouvernements.
Il me semble évident que les gens ne sont pas prêts à entendre tout ce
que savent certains de nos dirigeants.
Peut-être que nos visiteurs extraterrestres peuvent décider qui est prêt
pour la vérité et qui ne l'est pas. Peut-être est-ce une question de
choix individuel. »
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